Vie & Cancer Partenaires
Administratif & Droits

Administratif & Droits

Aux difficultés physiques et psychologiques, s’ajoute le labyrinthe administratif. Vous trouverez un relevé non exhaustif des démarches à accomplir et des liens vers les organismes compétents pour vous aider.

Vous êtes ici : Accueil > Administratif & Droits > Le cancer, maladie chronique?

19
octobre
2017

Le cancer, maladie chronique?

Le 19 octobre 2017 dans la catégorie Administratif & Droits
Le cancer, maladie chronique?

Il y a quarante ans, la mort était prépondérante dans l'équation du cancer. Aujourd'hui, heureusement, on y survit de plus en plus, même si on n'en sort jamais indemne, pour le meilleur et pour le pire. Alors que se passe-t-il quand on survit mais qu'on en guérit jamais? Quel statut? Comment vivre malgré tout?

Pendant longtemps, l’alternative était simple et brutale : guérir ou périr. On trouvait alors d’anciens malades, mais peu de malades anciens, autrement dit installés durablement dans la maladie. Depuis quelques années, les choses changent et la notion de cancer maladie chronique se fait de plus en plus présente, non sans susciter des controverses.
 
par Philippe Clouet – Illustrations Caroline Andrieu publié par La Ligue contre le Cancer
 
Chronique ?

« se dit d’une situation fâcheuse qui persiste ». Pour le dictionnaire, tout y est : la notion de durée, mais aussi la perception négative de cette durée. Mais peut-on, pour autant, appliquer au cancer cette définition très générale ?
 
Une réalité et pas une invention de médecin

Pour Mario Di Palma, oncologue et chef du département ambulatoire à l’Institut Gustave Roussy, la réponse ne fait aucun doute : « Le cancer maladie chronique, c’est une réalité et pas une invention de médecin ou de journaliste. De plus en plus de gens vivent avec le cancer et cela devient une question importante de santé publique. Plusieurs raisons expliquent cette évolution. D’abord le diag­nostic plus précoce, d’où le fait de vivre plus longtemps avec la maladie. Ensuite, les progrès dans la chirurgie et le traitement des cancers, mais aussi dans les soins de support, qui rendent ces traitements plus supportables. Songez, par exemple, aux progrès de la nutrition, aux traitements contre la douleur ou contre les nausées… Enfin, je citerais aussi une meilleure connaissance du rapport bénéfices-risques, qui permet un maintien en vie dans de meilleures conditions. La conséquence, c’est un allongement généralisé de la durée de vie avec un cancer qui ne guérira pas. »

Une position que partage d’ailleurs l’Organisation mondiale de la santé, qui classe le cancer parmi les maladies chroniques. L’OMS définit celles-ci comme « des affections de longue durée qui, en règle générale, évoluent lentement ». Il subsiste toutefois des réticences. Car accepter l’idée de la chronicité revient à reconnaître que tous les cancers ne sont pas guérissables, au sens traditionnel du terme.
 
« La maladie chronique n’a pas de statut social et développe de nouvelles inégalités » Philippe Bataille
 
Une prise de conscience progressive

Du côté des patients, l’approche est différente, mais la chronicité n’est pas forcément plus simple à accepter. En 2012, Brigitte Massicault, alors orthoptiste dans un service hospitalier, apprend, de façon presque fortuite, qu’elle a un cancer des ovaires. L’annonce se fait par téléphone, dans des conditions que l’on pensait ne plus exister. « Malgré le choc, j’étais assez optimiste, avant de découvrir que ce type de cancer entraîne un taux élevé de décès dans la première année. Pourtant, je n’ai jamais pensé que j’allais mourir. J’ai compris qu’il allait falloir se battre, même si je ne m’imaginais pas que cela serait aussi dur. »

Brigitte subit plusieurs interventions – quatorze anesthésies durant la première année – et est hospitalisée de façon quasi continue entre décembre 2012 et février 2014. Elle pense alors pouvoir souffler, mais les médecins lui annoncent une rechute à l’été 2014.

Devenue entre-temps membre de l’association IMAGYN (voir explication en fin d'article), Brigitte Massicault connaissait à la fois le risque de rechute et la notion de chronicité, qui lui a été effectivement annoncée en octobre 2015. « La prise de conscience s’est faite progressivement avec l’équipe soignante et l’introduction de nouveaux traitements. Cela n’a rien d’évident et demande un vrai travail sur soi-même. Si l'on redevient “normale” en apparence, il reste très difficile de se projeter et la vie personnelle devient compliquée. Tout est calculé en fonction de la chimiothérapie et de ses effets. On avance au jour le jour. Cela freine la vie sociale et les activités extérieures. Par exemple, je sais que je prendrai des vacances cet été, mais je suis incapable de les préparer longtemps à l’avance… »
 
« Si on redevient “normale” en apparence, il reste très difficile de se projeter et la vie personnelle devient compliquée. » Brigitte Massicault
 
Endiguer et contrôler

Ce cheminement, Philippe Bataille – sociologue à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) – le connaît bien. Auteur l’an dernier de Vivre et vaincre le cancer (voir encadré plus bas), il a interrogé de nombreux patients et animé des groupes de réflexion avec des malades : « Depuis le début des années 2000, on assiste à une révolution thérapeutique dans le traitement des cancers, notamment avec la biomédicalisation, qui s’ajoute aux progrès de la chirurgie et de la chimiothérapie. Résultat : à défaut de guérir tous les cancers, on arrive à endiguer et à contrôler la maladie. Pour un sociologue comme moi, il est rare d’observer un phénomène aussi rapide sur une population aussi large. Le seul précédent récent est celui du sida, avec l’apparition des trithérapies. »

Pour Philippe Bataille, tout n’est pourtant pas aussi nouveau qu’il y paraît au premier abord. « Bien sûr, le modèle de la chronicité n’était pas dans la première proposition médicale. D’une certaine façon, elle remet en cause l’image de la médecine curative. Mais aujourd’hui, elle s’est installée à tous les étages du discours médical. Et il y a une expérience sociale, humaine, empirique de la chronicité, qui s’adosse à l’expérience plus ancienne de l’incurabilité. »
 
« Il est rare d’observer un phénomène aussi rapide sur une population aussi large » Philippe Bataille
 
Voir les choses de façon positive

De ses entretiens et groupes de travail avec des malades, Philippe Bataille retient l’idée qu’une fois passée « la colère d’être atteint », l’idée de chronicité est acceptée par les patients. Elle sous-entend l’acceptation, l’idée que « le cancer reste là, tapi quelque part… ». Cette acceptation s’accompagne souvent d’une réaction positive du malade lui-même : se remettre à pratiquer une activité physique, surveiller son poids et son alimentation…

Brigitte Massicault ne dit pas autre chose. Elle a connu aussi cette réaction : « J’ai un mari et trois filles. Malgré la maladie, tout ce qui faisait “la vie d’avant” est maintenu, parfois en mieux, car je dispose de davantage de temps depuis que je ne travaille plus. J’essaie de voir les choses de façon positive. Je rencontre aussi chaque mois un psychologue, une aide précieuse pour accepter la chronicité. » Et son engagement associatif dans IMAGYN est une autre illustration de cette réaction positive.
 
Une expérience comme une autre ?

Atteinte d’un cancer de la thyroïde il y a vingt et un ans, Marie Lanta a connu un parcours très voisin. Après l’ablation et la période de traitement, elle s’est engagée à son tour. Elle, qui ne travaillait pas est devenue bénévole à la Ligue contre le cancer
– après avoir participé aux 1ers Etats généraux des malades atteints de cancer en 1998 –, puis salariée. Elle occupe aujourd’hui un poste de chargée de mission information auprès des personnes malades et des proches. Mais le parcours n’est pas toujours linéaire : vingt ans après son premier cancer, on lui diagnostique un cancer du sein, heureusement à un stade précoce. « On revit tout le parcours, en partant du début. Et les angoisses que l’on croyait avoir évacuées reviennent comme vingt ans avant, surtout au début lorsque l’on ne connaît pas encore le stade de la maladie. Replonger a été difficile, mais le fait d’avoir déjà eu cette expérience, de travailler à la Ligue m’a aidée. Sans compter que mes enfants sont élevés, ce qui soulage d’un grand poids. Le passage par la Ligue m’a rendue moins naïve ; je sais ce qui peut se passer, je comprends mieux les traitements et l’environnement médical… D’une certaine façon, mon premier cancer m’a donné plus d’assurance. Et je me dis que vivre avec une maladie est une expérience comme une autre. Mais attention cependant à ne pas banaliser la chronicité ! Pour les patients et leur entourage, la maladie n’a rien de banal et la chronicité reste difficile à vivre. ».
 
« D'une certaine façon, mon premier cancer m'a donné plus d'assurance. »
Marie Lanta
 
Expertise à l’hôpital et patient en ville

La chronicité n’est bien sûr pas sans conséquence sur le système de santé. Pour Mario Di Palma, « elle interroge le modèle de la prise en charge hospitalière. Les hôpitaux restent organisés comme il y a quinze ans, alors qu’on aurait besoin de plateformes ambulatoires. L’expertise des traitements innovants est à l’hôpital, et le patient de plus en plus en ville, pris en charge au quotidien par son médecin traitant. Il faut donc développer la coordination entre hôpital et médecine de ville, et mettre en place des organisations souples ».

Philippe Bataille le rejoint sur ce point : « La maladie chronique n’a pas de statut social. Les malades du cancer vivent souvent mal l’épuisement social et humain de la chronicité. Celle-ci développe en outre de nouvelles inégalités et pose la question de la prise en charge : comment fait-on lorsqu’on a un cancer chronique et que l’on travaille en free-lance ? La chronicité multiplie les acteurs et nécessite donc une coordination forte ». Autant de sujets de réflexion pour le prochain Plan cancer…
 
« L'expertise est de plus en plus à l'hôpital, et le patient de plus en plus en ville. Il faut donc développer la coordination. »
Mario Di Palma
 
Les ERI®, des espaces utiles

Présents dans une trentaine de centres de lutte contre le cancer (CLCC) et d’hôpitaux publics, les espaces de rencontres et d’information sont ouverts aux malades et à leurs proches. Animés par des accompagnateurs en santé, ils proposent un accès à une information claire et validée, des réunions débats, des ateliers thématiques animés par des professionnels (par exemple sur l’alimentation, sur certains types de traitements…), ainsi qu’un accompagnement et une écoute, à toutes les étapes de la maladie.
Les coordonnées des ERI® : www.ligue-cancer.net/article/3308_l-eri-proche-de-chez-vous
 
IMAGYN mobilise les femmes

Créée en 2014, IMAGYN – pour Initiatives de Malades Atteintes de cancers GYNécologiques – est présidée depuis mars 2017 par Brigitte Massicault. L’association s’est fixé pour objectifs de sensibi­liser, soutenir et informer les patientes, leur famille, leurs proches et toute personne concernée par les maladies gynécologiques. Elle participe à la recherche et se bat pour faire connaître à toutes les femmes les signes annonciateurs d’un cancer gynécologique (souvent confondus avec des douleurs banales). Elle conseille les femmes en leur expliquant qu’elles doivent absolument être prises en charge et opérées dans des centres de soins experts en matière de cancers gynécologiques.
http://monimagyn.org
 
Un livre pour aller plus loin

Rédigé par Philippe Bataille et Sandrine Bretonnière – tous deux chercheurs en sociologie à l’EHESS – et préfacé par Axel Kahn, président du Comité éthique et cancer, Vivre et vaincre le cancer est sous-titré « Les malades et les proches témoignent ». L’ouvrage s’appuie en effet sur de nombreux témoignages de patients, « afin de comprendre de l’intérieur en quoi consiste le cheminement personnel de guérison ». Parmi les nombreux aspects abordés au fil des pages, l’un entre en résonance avec la question de la chronicité : la mort recule, mais à quoi ressemble la vie après le cancer ? (éditions Autrement – octobre 2016.)