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26
juillet
2016

Rencontre avec Christian Callens, ou quand les grandes douleurs amènent de grands changements

Le 26 juillet 2016 dans la catégorie Interview : Rencontre inspirante
Rencontre avec Christian Callens, ou quand les grandes douleurs amènent de grands changements

C’est l’histoire d’un homme d’une cinquantaine d’année à qui on découvre un cancer, que l’on soigne, qui récidive, qui est resoigné et qui récidive encore. C’est l’histoire d’un chemin douloureux, au sens propre comme au figuré, mais qui se double d’une réflexion sur ce qui est essentiel, ainsi que sur l’importance d’écouter ce que nous dit la douleur, et de la traiter.


Comment avez-vous appris que vous souffriez d’un cancer ?

Ça a commencé par une douleur dans la bouche que je prenais pour un aphte. Au départ, je n’étais pas très inquiet, jusqu’à ce que la douleur devienne plus forte, comme si ma langue se déchirait. Mon généraliste pensait que ça n’était pas grave. J’ai vu ensuite un stomatologue qui m’a prescrit de la cortisone, mais là encore, ça n’a pas réglé le problème de la douleur sur le long terme. C’est finalement à Saint-Luc que je serai diagnostiqué avec un cancer de la langue. Il y a eu deux ans entre mon premier ressenti de la douleur et la première opération en 2012.

Qu’avez-vous ressenti à l’annonce du cancer ?

Je dois dire que j’ai voulu garder mon sang-froid et j’ai immédiatement pensé à mes proches, à tout organiser pour « mettre mes affaires en ordre » comme on dit. Mais mon oncologue m’a rassuré, et j’ai cru que tout irait bien, que je serais vite guéri. J’ai un mode de vie plutôt sain, une famille aimante, ce cancer c’était un peu comme « la tuile » qui écornait le tableau, et je l’acceptais comme ça.

Que s’est-il passé pour vous après l’opération ? La guérison et le retour à la normale, comme vous l’espériez ?

Heureusement que je n’ai pas connu à l’avance ce que j’allais traverser. Ce n’est pas tant la perte de deux molaires qui fut difficile à vivre, mais la douleur… Je demandais sans cesse des antidouleurs. Elle était terrible, lancinante… Oui, c’est vraiment le souvenir pénible que j’en ai. Cette douleur constante. Au moins, à l’hôpital les infirmières peuvent vous soulager rapidement, sous prescription du médecin, mais une fois rentrer chez moi, j’étais seul face à cette souffrance physique. Cela m’empêchait même d’entrevoir l’avenir, un avenir sans ce mal. Et puis finalement, elle a disparu.

Et vous retournez alors au travail ?

Oui, deux mois après l’opération la vie reprenait son cours. Mais en août 2014, lors d’un contrôle, le médecin voit une lésion suspecte. La nouvelle tombe comme un couperet : récidive, on réopère.

Quel fut votre sentiment en apprenant cette récidive ?

Cette fois, je n’ai pas été rassuré par le médecin, car il n’y a pas de cause connue. Je vois ça comme « la faute à pas chance », mais je pensais que l’opération en viendrait à bout. Elle fut moins pénible que la première fois néanmoins.

Et puis la récidive, encore…

Oui, une année après cette deuxième opération, une nouvelle rechute. Là, ça a été le plus difficile moralement. L’opération serait longue et lourde, donc avec des conséquences (plus de dents inférieures).

Qu’est-ce qui vous effraie le plus à ce moment-là ?

Je me demande quelle sera ma qualité de vie. Je me demande s’il y aura encore une rechute après… je suis dans le questionnement. Cette troisième fois, c’est trop. J’ai commencé à chercher les causes possibles, voir ce que je pouvais changer dans ma vie pour éviter que ça se reproduise. Je vous le dis, j’ai plutôt une vie saine, une famille aimante. Mais c’est vrai que je travaillais beaucoup. On parle énormément du stress dans les facteurs de cancer. C’est plutôt sur ce point que je me suis dit que je pouvais changer quelque chose.

Comment ?

Après les deux premières opérations, je suis retourné travailler comme avant (je veux dire au même rythme). Cette fois, je me suis mis une limite, je compte arrêter à 60 ans. Je sais que c’est une chance de pouvoir faire ce choix sans se mettre en difficulté financièrement.

Ce que cette deuxième rechute m’apporte, si on peut le tourner ainsi, c’est un grand « shift » dans ma vie. J’ai revu mon modèle d’équilibre professionnel/privé.  J’ai décidé d’être plus à l’écoute de mon bien-être, de ne plus m’énerver pour des broutilles. Ce n’est pas nécessairement révolutionnaire, mais c’est déjà un changement important pour moi.

En tant que patient, qu’auriez-vous envie de faire passer comme message ?

Il y a bien sûr la question des priorités dans la vie, mais en tant que patient, mon message vis-à-vis du monde médical concerne l’écoute et  la gestion de la douleur. Après la troisième, et la plus douloureuse, opération, un assistant m’a un jour refusé des antidouleurs, arguant que la douleur est un signal de ce qui ne va pas et permet de trouver la source du mal. J’étais réellement en souffrance, la source de la souffrance était quand même connue, je n’étais pas venu pour une appendicite. Cet épisode démontre combien le corps médical reste encore trop souvent loin de la réalité de la personne. Je ne parle pas de tous les médecins, évidemment.

Et aujourd’hui, comment vous sentez-vous ?

Je me porte plutôt bien. Je dois encore apprivoiser mon image, ce n’est pas facile tous les jours, mais je ne considère pas que je vive avec une épée de Damoclès au-dessus de ma tête en permanence. J’aimerais dire que la douleur doit être écoutée et traitée surtout. Qu’il faudrait plus informer les patients sur ce sujet.

Je voudrais aussi dire que dans beaucoup d’esprits, cancer est encore associé à la mort alors qu’on y survit de plus en plus, même si on n’en sort pas indemne… Mais ce n’est plus tabou. Il y a un après, on doit passer par une période désagréable, mais c’est une période, elle passe. La guérison commence par le respect de soi. Il faut Être, et non se laisser aller, c’est du moins ce qui m’a sauvé. 

Propos recueillis par Magali Mertens pour Vie & Cancer

Brochure sur le traitement de la douleur pour les personnes atteintes du cancer, édité par la société canadienne du cancer