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10
juillet
2019

"Pleurez avec ceux qui pleurent"

Le 10 juillet 2019 dans la catégorie Conseils du coach
"Pleurez avec ceux qui pleurent"

Quand on dit que l'on est atteint(e) d'un cancer, chacun à quelque chose à vous dire. Il y a les injonctions à se battre, les conseils pour avoir un mental d'acier, la copine de la voisine de la cousine qui est une naturopathe miracle, les copains qui vous disent combien vous êtes un modèle de force... Bien peu prennent le temps de vous dire simplement "je suis désolée de ce qui t'arrive et que tu risques de mourir". Oui, "pleurer avec ceux qui pleurent" est une parole biblique qui, croyant ou non, nous montre comment incarner l'empathie, ce dont on a bien besoin ! Petit conseil de coach : n'exhortez pas les patients atteints de cancer à être forts, ni ne louez leur courage chaque fois que vous les voyez, mais ayez peur avec eux tout en leur tenant la main et pleurez avec eux lorsqu'ils pleurent. Témoignage d'Emilie, 26 ans, atteinte d'une leucémie et qui finalement nous partage son expérience avec un conseil qui s'apparente à la méthode Ho'ponopono.

Avant même de poser le pied dans la pharmacie, une publicité pour des cosmétiques me rappelle que je ne suis pas une malade du cancer comme il faut. Sur l’affiche, on voit une femme sous chimio (ou un mannequin qui joue ce rôle), foulard de soie sur le crâne et lèvres recouvertes de gloss. Ses joues sont rondes et roses quand les miennes sont creusées et blafardes. Souriante, elle respire la joie et la gratitude, comme si elle regardait un enfant apprendre à faire du vélo. “Battez-vous élégamment”, dit le slogan.
 
Je frappe le trottoir du pied en inventant mes propres propositions: “Si vous faisiez un peu plus d’efforts, le cancer vous irait aussi bien” ou “Bon, je sais que ce n’est pas simple pour vous, mais vous vous laissez vraiment aller.”
 
Résistant à l’envie d’essuyer les traces de mascara vieilles de trois jours qui traînent sous mes yeux, je serre les poings avant d’entrer. Un jeune homme en polo bleu m’accueille. “Bonjour. Je peux vous aider?”
 
“Je ne crois pas”, réponds-je sans bouger. Je tambourine des doigts contre ma cuisse et prends une grande inspiration. “La femme sur cette affiche a l’air vraiment heureuse d’avoir un cancer, alors…”
 
 
L’image ne m’aurait pas interpelée il ya quelques semaines encore. Le cancer, c’est tout nouveau pour moi. Je ne suis même pas vraiment lancée dans l’aventure. Pendant deux ans, j’ai été un mystère médical, passant d’un spécialiste à l’autre et subissant toute une batterie de tests pour détecter diverses maladies: lupus, maladie de Lyme, ménopause prématurée… La plupart des médecins préféraient ne pas penser à des alternatives plus graves, parce que “26 ans, c’est trop jeune”. Comme si ça empêchait les tragédies de se produire. Les mois passaient sans apporter de réponse. Je me suis mise à compter les jours en IRM et en salles d’opération.
 
“On dirait bien un cancer du sang”, ont fini par conclure les médecins, citant des phénomènes génétiques, des sièges primitifs et d’autres responsables potentiels de ma brusque baisse de forme. “Les lymphomes sont parfois très difficiles à identifier”. Un quasi-diagnostic: je sais que j’ai un pied dans la tombe, mais je ne peux pas encore être traitée. Me voilà coincée entre la vie et la mort.
 
Chaque nuit ou presque, je me réveille en frissonnant, mon pyjama et les draps trempés de sueur. Je me traîne jusqu’à la douche pour rincer une énième fièvre nocturne et découvre de nouvelles ecchymoses sur mes bras, mes jambes, mes mains et mes pieds. Je me sèche devant le miroir, face à un corps qui n’est plus le mien, une enveloppe qui fait dix kilos de moins qu’il y a deux mois. Mes os saillent à des endroits inhabituels. Je suis devenue une inconnue.
 
La nuit suivant mon quasi-diagnostic, j’ai tiré ma longue chevelure vers l’arrière et l’ai plaquée contre mon crâne. J’ai contemplé mon image, sondant les creux et les bosses, ces parties de moi qui seraient bientôt visibles de tous.
 
Mon sang battait dans mes veines. J’avais l’impression que mon cancer faisait de même. Il était partout. “Sortez-le”, ai-je crié dans le vide en agitant les mains, prise de panique. “SORTEZ-LE!” Je me suis penchée sur le lavabo. Mes cheveux blonds sont retombés sur mes épaules. La vie que je connaissais m’échappait, comme une pièce qui s’enfonce dans une flaque trouble.
 
Quelques semaines plus tard, le monde me montre à quoi mon nouveau quotidien doit ressembler. Tout le monde me dit ce qu’il faut faire et ne pas faire quand on a un cancer.
 
Les compagnies d’assurance-vie se battent pour attirer mon attention en m’expliquant qu’il serait vraiment dommage, pour eux comme pour moi, de passer l’arme à gauche avant de souscrire l’une de leurs polices. Les cabinets d’avocat me contactent pour me conseiller de mettre mes affaires en ordre avant la fin. Les publicités des laboratoires pharmaceutiques m’encouragent à rassembler assez de “force” pour “remporter le combat”, comme si ceux qui ont succombé auraient simplement dû lutter un peu plus.
 
Et puis il y a les amis, les collègues, les croyants bien intentionnés qui veulent savoir si je prends des vitamines, si j’ai aligné mes chakras ou si je suis bien allée voir, trois fois par semaine, le meilleur ami du copain de leur cousine qui est naturopathe. On me demande si je reste positive, on me dit que mes propos peuvent influer sur mes chances. Je savoure mes capacités psychokinétiques inexploitées et j’évoque souvent les 10 000 $ que je compte trouver, coincés derrière mon sèche-linge, à côté d’une chaussette perdue le mois dernier.
 
Ceux qui habitent loin m’envoient des cartes pour me dire que je suis courageuse et forte, et que je surmonterai cette épreuve. Des mots bienveillants. Ils préparent peut-être déjà mon éloge funèbre: “Elle n’a jamais cessé de rire et de sourire.” “Pour elle, chaque jour était un cadeau.” “Elle s’est battue jusqu’à la fin.” De superbes paroles, mais aucune de vraie. Par sécurité, et peut-être par superstition, ils concluent par un “Rétablis-toi vite”.
 
Je me fais des amis, au détour des couloirs labyrinthiques de l’hôpital. Ils m’assurent qu’un jour je trouverai un sens à tout ça. Les techniciens qui me font passer des scanners m’expliquent que ce combat sera rédempteur et finira par porter ses fruits. Tout le monde fuit en me laissant seule face à la situation avec, pour seul réconfort, une explication.
 

Et puis, un jour, une amie vient sonner à ma porte, une boîte d’infusion à la camomille et un bouquet de marguerites à la main. “Je suis terriblement désolée que tu sois peut-être mourante”, lance-t-elle. “Moi aussi”, réponds-je. On s’assoit dans la cuisine, les jambes repliées. Je lui explique mes regrets de ne jamais pouvoir me lancer dans une carrière de mannequin atteint de cancer. Plutôt que de me dire de me battre en gardant la tête haute ou de me rétablir vite, elle me remémore cette injonction biblique: pleurez avec ceux qui pleurent.
 
S’asseoir ensemble quelques minutes en partageant une souffrance sans essayer de résoudre le problème ou de le faire disparaître à coups d’explications est à la fois plus simple et plus difficile que ça en a l’air. La chose la plus tendre, et aussi la plus inhabituelle qu’on ait faite pour moi est de simplement accepter l’intolérable, de me rappeler que je ne suis pas obligée de me montrer courageuse, forte ou optimiste en permanence. De me permettre, au contraire, de passer quelques instants d’irascibilité, de peine et de colère, même si c’est désagréable. Et de me laisser la possibilité de faire le premier pas, indispensable, de l’acceptation.
 
Et pour cela, mieux vaut éviter les conseils, les propos optimistes, ou d’évoquer ce jour où l’ami d’un ami Facebook avait attrapé la malaria et en était presque mort.
 
En général, l’acceptation prend plutôt cette forme: “Je suis désolée, et je trouve que ce qui t’arrive est dégueulasse. Je partage ta peine. Je suis désolée.”
Auteure : Emilie Poplett
 
Ce blog, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Maëlle Gouret pour Fast ForWord.